Laurent Guibaud : le corps maternel, acteur du traitement prénatal du fœtus

Laurent Guibaud échographiste

Pouvez-vous revenir sur votre parcours en tant que médecin ?

Laurent Guibaud explique avoir réalisé ses premières études à Lyon. Après l’internat, il a commencé par un semestre en chirurgie mais ses inclinations allaient vers la pédiatrie et l’obstétrique. Sur des recommandations, il a poursuivi par un semestre de radiologie, discipline qui l’a conquis. Il envisageait initialement la radiologie digestive. Il s’est engagé comme Volontaire du service national au Sénégal durant près de deux ans où il exerça comme échographiste, expérience qui lui a donné le goût des voyages. Il a ensuite séjourné quelques mois à Montréal dans un service dirigé par un ancien de Lyon.

De retour après son internat, il a occupé un poste d’assistant en radiologie digestive au General Hospital de Montréal. Une rencontre fortuite avec une spécialiste en radiopédiatrie à l’hôpital pour enfants de Montréal a reorienté sa carrière vers la radiologie interventionnelle pédiatrique, centrée sur les interventions sous échographie ou scanner à l’hôpital Sainte-Justine. Une bourse de recherche lui a permis de rejoindre cette institution.

Comment êtes-vous venu à la médecine fœtale ?

À Montréal, il a découvert la médecine fœtale et s’est particulièrement intéressé aux angiomes. Ces formations vasculaires, qui peuvent apparaître rougeâtres ou violacées, sont parfois très déformantes et peuvent toucher n’importe quelle zone du corps. Elles concernent différents types de vaisseaux : veines, artères, capillaires (à l’origine des taches en « vin ») et vaisseaux lymphatiques.

Certaines malformations lymphatiques sont présentes in utero et repérables par échographie. De retour en France, il a estimé nécessaire d’ouvrir à Lyon une consultation dédiée aux anomalies vasculaires, car dans les années 1990 il n’existait qu’un seul centre spécialisé en France, à l’hôpital Lariboisière à Paris.

Qu’est-ce qui vous attire dans ce domaine ?

Il apprécie la diversité des approches : clinique, recherche et collaboration interdisciplinaire. Le suivi des patients crée des relations étroites. Lorsqu’il prend en charge des enfants gravement atteints, il compare son rôle à celui d’un architecte face à un édifice à rénover : il faut dresser un diagnostic, élaborer un plan de traitement et imaginer le résultat final tout en obtenant l’adhésion des familles.

Sur quels résultats récents intervenant in utero travaillez-vous ?

L’équipe des Hospices Civils de Lyon a obtenu des effets marquants grâce à une prise médicamenteuse administrée à la mère pendant la grossesse. Jusqu’à récemment, lorsqu’une malformation était dépistée chez le fœtus, aucun traitement prénatal n’était disponible : les parents se retrouvaient face au choix de poursuivre ou d’interrompre la grossesse. Au cours des quinze dernières années, les équipes de recherche ont identifié les gènes impliqués dans ces anomalies, notamment le gène PIK3CA, souvent en cause dans les malformations lymphatiques.

échographie Laurent Guibaud

Une molécule, le sirolimus, connue pour prévenir le rejet de greffe, a été observée comme capable de freiner la formation excessive de vaisseaux. Son utilisation a permis de réduire la prolifération vasculaire et, de ce fait, la mère devient via son organisme un vecteur de guérison pour son enfant.

Vous avez d’abord essayé ce traitement chez des nouveau-nés ?

Oui. L’équipe a traité dix nouveau-nés porteurs de malformations lymphatiques très volumineuses, souvent localisées au niveau cervico-facial et menaçant les voies aériennes. La prise en charge néonatale est délicate et la chirurgie comporte des risques importants. Jusqu’alors, le traitement reposait surtout sur des sclérothérapies : aspiration des kystes sous imagerie puis injection d’un produit empêchant leur reprise de volume. Cette technique est efficace pour les gros kystes mais pas pour les très petits, parfois seulement visibles au microscope.

Ils ont donc associé, dès les premiers jours de vie, la sclérothérapie et un traitement par sirolimus pour atteindre l’ensemble des kystes. Chez ces dix nouveau-nés, l’amélioration a été importante : après 12 à 18 mois, plus de 80 % de la malformation avait régressé. Ils ont constaté que l’effet était d’autant meilleur que le traitement démarré tôt, d’où l’idée de l’initier avant la naissance.

Quelles étaient les inquiétudes liées à un traitement pendant la grossesse ?

Le sirolimus agit sur la formation des vaisseaux et sur la prolifération cellulaire, d’où une certaine réserve à l’administration durant la période où l’embryon/fœtus se développe. L’équipe belge a été la première à tenter l’approche chez une mère de 40 ans désireuse de poursuivre sa grossesse. Ils ont donné la molécule à la mère sans connaître précisément le passage au fœtus et ont réalisé trois ponctions du cordon pour mesurer le taux sanguin fœtal. Le traitement a été bien toléré et la lésion s’est significativement réduite.

Pour atteindre des concentrations efficaces chez le fœtus, la dose administrée à la mère doit être supérieure à l’usage habituel, ce qui peut entraîner des effets secondaires chez la mère comme des aphtes ou des modifications du bilan lipidique. Pour le fœtus, l’impact n’est pas négligeable, mais l’expérience bruxelloise a été rassurante et l’équipe a attendu plusieurs années avant de publier afin d’écarter d’éventuelles conséquences à long terme sur le développement de l’enfant.

Combien d’enfants en France ont bénéficié de ce protocole et quels ont été les résultats ?

Six nourrissons en France ont reçu ce traitement. En novembre 2023, un cas en provenance de Tahiti, avec une importante malformation touchant notamment la langue, a été traité en prénatal puis en postnatal, avec un bon résultat. Deux cas provenaient de la région Rhône-Alpes et un d’Île-de-France. Deux enfants présentaient une malformation thoracique importante, dans un cas s’étendant jusqu’au membre supérieur. Pour ces derniers comme pour un enfant de Nantes, l’évolution a été spectaculaire. En revanche, l’approche a échoué pour un bébé suivi à Toulouse, sans cause clairement identifiée à ce jour, ce qui reste à étudier.

Quelles améliorations cherchez-vous à apporter au protocole ?

L’équipe des HCL travaille à affiner le traitement : déterminer la posologie maternelle idéale (quantité et durée) et préciser la durée nécessaire du sirolimus après la naissance. Ils élaborent également des protocoles pour optimiser la prise en charge postnatale des nouveau-nés traités.

médecine foetale

Au cours de l’entretien, la discussion a également porté sur le métier de journaliste : profil des lecteurs, consommation de la presse chez les jeunes, sujets marquants. L’échange, mené pendant un déjeuner pris à l’extérieur, a montré la curiosité du médecin.

Chaque cas présenté était illustré par des photographies — certaines très difficiles à regarder. On découvre des nouveau-nés au crâne déformé, d’autres avec une lèvre hypertrophiée ou une partie du corps disproportionnée. Ces images peuvent choquer au premier abord, mais le médecin présente souvent des photos avant/après qui font apparaître des améliorations considérables : certaines malformations ont disparu, d’autres ont nettement reculé. Ce traitement a le potentiel de transformer des trajectoires de vie.

Laurent Guibaud a cherché un métier porteur de sens et l’a trouvé. Sa vocation s’inscrit dans une filiation familiale : son père était pédiatre et sa mère professeure en pharmacie. Cette passion semble s’être transmise à trois de ses cinq enfants. Lors du repas, il a exprimé son inquiétude face au bébé de Toulouse pour lequel la thérapie n’a pas fonctionné.

Ce nourrisson a désormais plus de deux mois et reste en mauvaise posture, ventilé via une canule trachéale. Le professeur a proposé à l’équipe toulousaine de se déplacer pour tenter des sclérothérapies complexes, car les lésions entourent les voies respiratoires. Avant de nous quitter, il a tenu à rappeler l’importance des rencontres en personne, soulignant que si Internet rend beaucoup d’informations accessibles, les réunions physiques restent irremplaçables.

Le repas

Deux veloutés de champignons, poêlée de pleurotes en persillade et croûtons dorés

Deux filets de lieu cuits à l’huile d’olive vierge, accompagnés d’un crémeux de carottes, d’un wok de légumes croquants et d’une sauce normande aux herbes fraîches

Coupe de glace vanille, framboise, passion, chantilly

Deux cafés

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